TECHNIQUE
Cool and Comfort 86 – septembre 2020
Petit à petit vers… la réfrigération magnétique
Depuis quelques décennies, les réfrigérateurs magnétiques arrivent en première place comme remplaçants possibles de la génération actuelle de réfrigérateurs. Ils n’ont toutefois pas encore fait leur percée. Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous en avons discuté avec l’un des plus importants experts au monde en la matière.
La réfrigération magnétique est une manière innovante de refroidir. Elle est basée sur l’effet magnétocalorique. Pour l’expliquer, il faut observer ce qu’il se passe au niveau subatomique. Les atomes du matériau constituant un tel réfrigérateur, possèdent des électrons. Ces derniers ont un moment magnétique que l’on nomme ‘spin’. On pourrait se les représenter comme des aiguilles de boussole qui pirouettent dans toutes les directions de manière désordonnée. Mais en présence d’un champ magnétique, elles s’orientent instantanément dans la direction des lignes de champ. Les électrons ont alors besoin de moins d’énergie. Et ils cèdent ce surplus d’énergie à l’environnement. De ce fait, le matériau, par exemple le fer, devient plus chaud. Dans un réfrigérateur magnétocalorique, cette chaleur est évacuée par un fluide circulant le long du matériau. Si ensuite on arrête le champ magnétique, les ‘aiguilles de boussole’ se remettent à nouveau dans toutes les directions. En d’autres termes, l’énergie de spin des électrons augmente à nouveau. Et l’énergie dont ils ont besoin pour y parvenir, ils la puisent dans leur environnement, qui alors refroidit.
Atouts marquants
Le prof.dr. Ekkes Brück, de l’Université technique néerlandaise, de Delft (Nederlandse Technische Universiteit Delft) nous en dit plus à ce sujet. En 2016, il a reçu un prix décerné par la fondation Recherche fondamentale sur la matière (Fundamenteel Onderzoek der Materie) ‘pour son engagement tenace sur le plan des matériaux énergétiques’.
Ekkes Brück nous donne de plus amples explications concernant les appareils magnétocaloriques. « Pour la réfrigération, avec un processus de compression et de détente, on utilise un fluide qui devient liquide », commence-t-il. « Mais, contrairement à un liquide, ce qui se passe pour un matériau magnétique est très réversible. Le magnétisme est un effet quantique, et il ne se produit donc aucun friction de ce fait. Conséquence : Un processus magnétique permet d’obtenir un rendement bien plus élevé que ce que l’on peut obtenir avec un processus de compression et détente. C’est aussi la raison pour laquelle nous pouvons attendre que l’on puisse faire fonctionner plus efficacement un réfrigérateur magnétique qu’un appareil classique. Toutefois, la conception doit être appropriée pour y parvenir. Il est très important de ne pas produire de pertes. Cela signifie que vous ne pouvez plus générer le champ magnétique avec un électroaimant mais, par exemple, avec un aimant permanent. Pour les applications à grande échelle on envisage aussi des aimants supraconducteurs. Ils permettent de générer des champs magnétiques sans ou quasi sans énergie. Avec la nuance suivante : lorsque vous utilisez des aimants supraconducteurs, il vous faut, bien entendu, refroidir ces supraconducteurs, et cela consomme à nouveau de l’énergie. »
Lorsque l’appareil se réchauffe et se refroidit, il se produit dans l’appareil des points chauds et des points froids. Mais ce froid doit, bien sûr, aboutir dans le réfrigérateur. Ekkes Brück : « On utilise pour ce faire habituellement de l’eau pour les applications proches de la température ambiante, ou de l’eau avec de l’antigel, si l’on veut de très basses températures, comme par exemple dans un congélateur, mais pour les climatiseurs, ce ne serait pas nécessaire. Et ce faisant, il faut veiller à ce que les canalisations et autres ne produisent pas de grosses pertes de charge, car cela consommerait une énergie supplémentaire. Mais revenons alors immédiatement à l’un des avantages du réfrigérateur magnétique. Dans un réfrigérateur normal, vous travaillez à quelques bars de pression. Le réfrigérateur du futur ne fonctionnera plus avec des hydrocarbures, mais par exemple au CO2 : dans ce cas quelques bars ne suffiront pas, et il faudra passer à de très fortes pressions pour refroidir efficacement. Cela veut dire qu’il faudra utiliser des canalisations assez épaisses pour le transport de la chaleur. Mais dans le cas d’un réfrigérateur magnétique, il s’agit de pressions au voisinage de 1 atmosphère. Vous pouvez donc, en principe, transporter la chaleur dans des conduits en matière plastique. Cela aussi serait un avantage. »
Le coût
Les réfrigérateurs magnétiques n’ont pas encore été commercialisés : « La raison en est qu’ils reviennent encore un peu plus cher pour le moment. Le plus grand poste de frais est l’aimant. Pour générer un champ magnétique dans les prototypes actuels on travaille tout de même avec une induction magnétique de l’ordre du tesla. Il s’agit donc d’un champ magnétique relativement élevé. Les aimants permanents peuvent le générer, mais ils sont utilisés aujourd’hui dans de nombreuses applications : véhicules électriques, éoliennes offshore, etc. Actuellement ils coûtent souvent entre 50 et 100 euros du kilo. Donc, si vous avez besoin d’un kilo et demi d’aimant pour activer votre réfrigérateur, vous devez investir au moins 100 euros. Et cela, alors qu’un compresseur habituel coûte environ 50 euros. C’est pourquoi nous tentons de faire fonctionner le système avec des valeurs de champ moindres, afin d’aboutir à un modèle plus compact et moins cher. »
Pour grosses et petites installations
Pour quelles applications un tel réfrigérateur serait-il le mieux approprié ? « On peut penser à de nombreuses applications différentes. Le premier prototype a servi de cave à vins réfrigérée. Si vous voulez garder des vins très chers, il n’est pas conseillé de les remuer trop souvent, et un compresseur transmet toujours un peu de vibrations. Mais un réfrigérateur magnétique n’émet pas de vibrations et est extrêmement silencieux. Le fait qu’un tel appareil ne soit pas bruyant est également utile lorsque la cave à vins se trouve dans un restaurant ou dans un séjour, car le bruit dérange. Les hôtels pourraient aussi être une application intéressante. Ce n’est pas agréable lorsque le bruit du réfrigérateur et du climatiseur s’entendent fortement. Ensuite, de tels systèmes magnétocaloriques peuvent contribuer à être moins dépendants des carburants fossiles tels que le gaz. »
Et il y a aussi les pompes à chaleur : » Elles permettent de chauffer efficacement la maison, mais elles ne sont hélas parfois pas spécialement silencieuses. Lorsque vous n’avez pas de cave, cela peut-être pénible. L’effet magnétocalorique permet non seulement de générer du froid, mais aussi de la chaleur. Il représente donc un potentiel comme alternative aux pompes à chaleur actuelles. Enfin, cette technologie est non seulement utilisable à petite mais aussi à grande échelle. »
Si vous utilisez des aimants supraconducteurs, vous pouvez également employer cette technologie pour des applications industrielles, avec des puissances très élevées. « Mieux encore : dans ce cas la durée d’amortissement sera même plus courte. Par exemple, les réfrigérateurs actuels atteignent environ 30% du rendement du cycle de Carnot. Mais les réfrigérateurs magnétocaloriques atteignent 50%. Le prix d’achat plus élevé d’un système magnétocalorique serait donc plus rapidement amorti à des puissances plus élevées. »
La percée commerciale ne s’est pas encore produite. Ekkens Brück est toutefois persuadé qu’elle viendra, comme l’une des alternatives aux systèmes actuels. « En continuant à y travailler, je pense que nous arriverons à réaliser un très bon gain environnemental. Et je ne parle pas des autres avantages, notamment le silence. Une fois la technologie encore mieux au point, je vois déjà une belle production de ce type d’appareils. »
Par : Koen Vandepopuliere
Photos : TU Delft
« L’effet magnétocalorique permet non seulement de générer du froid, mais aussi de la chaleur. »